Au coin du feu avec Anicet Niyonkuru

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Anicet Niyonkuru.

Votre qualité principale ?

J’ai l’amour du travail bien fait. En plus, je suis patient et persévérant. J’ai aussi l’amour du prochain. Dans ma manière d’aimer le prochain, il peut arriver souvent que je sois un peu naïf parce que je fais souvent trop de confiance. Mais ma confiance commence avec une grande force et cela diminue jusqu’à atteindre zéro. Quand je suis déçu, c’est irrécupérable.

Votre défaut principal ?

Je n’en vois pas beaucoup. Peut-être, ce sont les autres qui sont mieux placés pour le dire. Mais j’ai cette façon d’avoir trop de confiance aux gens et parfois je suis déçu.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

J’aime les gens qui travaillent et réfléchissent à un niveau très élevé. Quand je suis avec quelqu’un qui réfléchit à un niveau très supérieur au mieux, cela m’enrichit parce que je n’ai pas de complexe de ne pas savoir. J’aime apprendre et causer avec des gens qui gravitent dans d’autres domaines. J’aime aussi les personnes honnêtes.

Le défaut que vous ne tolérez pas chez les autres ?

Je ne tolère pas la malhonnêteté. Quelqu’un peut avoir d’autres défauts mais il faut qu’il soit sincère. J’ai longtemps vécu en Allemagne, j’ai remarqué que la sincérité est la première qualité chez les Allemands.

La femme que vous admirez le plus ?

C’est mon épouse qui malheureusement n’est pas avec moi, pour le moment. Elle vit en Allemagne. Elle a vécu des moments difficiles avec moi. J’ai vécu avec elle pendant des moments où on n’avait rien comme revenu, mais nous avons survécu. Elle a pu supporter cette situation avec dignité et a bien éduqué nos enfants.

L’homme que vous admirez le plus ?

C’est mon père qui a été très dur et rigoureux envers moi. Mais sa rigueur a construit ma personnalité. De temps en temps, il mélangeait la rigueur avec l’affection. Quand un enfant faisait quelque chose de bien, il le félicitait publiquement devant les autres. Mais par contre en cas de faute, il fallait s’attendre à une bastonnade.

Votre plus beau souvenir ?

C’est quand j’ai échappé à la mort en 1994. J’aime souvent dire que la bière m’a sauvé. Ma mère est venue rendre visite à mon grand-frère à Bujumbura et elle a amené une bière de sorgho.

Je suis allé la rencontrer et nous avons discuté un long moment. C’est d’ailleurs, malheureusement, ma dernière causerie avec elle. Et la même nuit, des étudiants de mon âge sont venus me chercher dans le campus pour me tuer, mais je n’étais pas là. Je me souviens de cette dernière conversation que j’ai eue avec ma mère et qui a fait que je dors au quartier. C’est ainsi que j’ai été sauvé. Pour moi, c’est un bon souvenir.

Votre plus triste souvenir ?

L’un des pires souvenirs, c’est le jour où des militaires, en pleine crise, ont largué des obus sur Kamenge en 1995. J’étais au quartier et j’étais gardé par des jeunes FDD dénommés « Intagoheka » (les vigilants). Un jeune parmi mes gardes a vu sa jambe traversée par un éclat d’obus. L’amputation de cette jambe s’ensuivit. Il est mort d’une hémorragie devant mes yeux. Je l’ai enterré moi-même avec les collègues. Je vois la scène comme si c’était hier, alors qu’il y a de cela 27 ans.

Votre plus grand malheur ?

C’est de mourir avant la fin des études de mes enfants. J’ai encore deux enfants qui poursuivent leurs études en Europe. J’aimerais les appuyer pour faire des études plus poussées que les miennes.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

C’est bel et bien la victoire de feu président Melchior Ndadaye aux élections présidentielles le 1 juin 1993. J’ai chanté la victoire de la démocratie jusqu’à ce que ma voix disparaisse. Une victoire que je connais et que j’ai vécue moi-même.

La plus terrible ?

C’est le 29 avril 1972 où a commencé le malheur des Burundais. C’est la date qui est même à l’origine d’autres crises qui ont endeuillé le Burundi.

Le métier que vous auriez aimé faire ? Et pourquoi ?

Quand j’étais à l’école secondaire, je projetais faire le droit. Mais malgré que j’avais fait comme premier choix la faculté de droit pour entrer à l’Université du Burundi en 1990, j’ai été orienté dans la faculté des Lettres et Sciences Humaines, dans le département de langue et littérature françaises. Un choix qui je n’avais pas fait.

J’aurais aimé être juriste parce que j’aime la justice. Le droit peut être négatif mais la justice est toujours positive. Je suis partisan de l’harmonie et de la cohabitation entre les gens. Il faut privilégier toujours la solution avant de recourir à la punition. Mais, plus tard, j’ai aimé le département.

En tant qu’ancien secrétaire permanent au ministre de la Communication, quelle appréciation faites-vous de l’évolution du monde médiatique au Burundi ?

Sur le plan du travail, il y a des médias professionnels. Des médias qui traitent l’information d’une manière professionnelle. D’autres médias qui recrutent des jeunes, et ces derniers sont là pour chercher du travail mais qui ne traitent pas l’information de manière professionnelle.

Quand j’écoute certains jeunes qui sont en train d’animer des émissions, faire des reportages ou donner des nouvelles des provinces, le constat est amer par rapport à leur niveau de français. Ça me fait vraiment mal au cœur. Quand un reporter commet beaucoup de fautes de français, ça dénature un peu l’information. Il y a aussi cette pauvreté qui hantent les organes de presse à telle enseigne qu’il existe des médias qui ne parviennent pas à rémunérer leurs employés.

Que faire ?

Il y a lieu de professionnaliser le métier de journalisme. A ce titre, j’avais lutté beaucoup pour qu’il y ait renforcement des capacités des journalistes et hausse du fonds d’appui aux médias afin de trouver une solution à cette précarité des conditions de vie des journalistes.

Une floraison de médias en ligne. Qu’en dites-vous ?

Pour moi, c’est quelque chose de positif. Il y a des jeunes qui sont passionnés à donner l’information. Même s’ils ne sont pas professionnels, ils contribuent à l’animation de la vie publique.

Cependant, la plupart ignore l’éthique et la déontologie. Parfois, ils versent dans les travers ou les injures. C’est pourquoi avec la nouvelle loi sur la presse, ils doivent être contrôlés. Ils doivent avoir une autorisation du Conseil national de la communication pour publier sur le Burundi.

Sinon, il faudra que les pouvoirs publics prennent contact avec « You tube et Google » pour les bloquer. Qu’ils ne continuent pas de publier sur le Burundi, s’ils n’ont pas de notions de traitement de l’information, d’éthique et de déontologie du métier.

Votre passe-temps préféré ?

Ici au Burundi, c’est la lecture. Je suis toujours à la recherche de l’information et du savoir. En Europe, je lisais et j’écrivais. Avant aussi, je jouais au tambour.

Votre lieu préféré au Burundi ?

C’est mon village natal à Musotera, dans la commune Mpinga-Kayove, province Rutana. Je m’y rends souvent et j’aime partager la bière de banane avec les vieux du village.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

C’est au Burundi. J’ai vécu à l’étranger pendant 25 ans : 6 ans en Afrique de l’ouest, 19 ans en Europe. J’ai quitté l’Europe pour m’installer dans ce beau pays. Je n’ai plus envie de vivre en Europe. Et quand j’y vais c’est pour rendre visite à ma famille pendant une ou deux semaines et je retourne.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

De temps en temps, je pense à faire des voyages de découverte des lieux touristiques, d’échange d’expérience, pas sous formes de voyages d’études classiques, mais aller visiter des lieux qui m’apprennent quelque chose.

Votre rêve de bonheur ?

Ma famille se trouve pour le moment en Europe. Mon rêve est de vivre avec toute ma famille au Burundi. J’ai déjà une fille mariée et qui a deux enfants, j’aimerai que mes petits enfants découvrent mon pays.

Votre plat préféré ?

Je n’ai pas vraiment de préférence mais le haricot ne manque jamais sur mon plat.

Votre chanson préférée ?

J’aime les chansons d’Amissi Canjo. J’aime les chanteurs qui exploitent des thèmes profonds tout en détestant les chansons où on dit : « je t’aime, je t’aime ».

Quelle radio écoutez-vous ?

La radio Insanganiro et la RTNB.

Avez-vous une devise ?

Après le travail, c’est le travail.

Votre définition de la démocratie ?

C’est une manière de se choisir les dirigeants.

Votre définition de la justice ?

C’est la manière de départager les personnes qui sont dans une situation de mésentente. La justice, ce sont aussi les textes, les balises, les garde-fous qui démontrent bien comment les gens doivent se comporter. C’est réglementer la manière d’agir des populations.

Qu’est-ce qui vous a poussé à embrasser la carrière politique ?

Je suis dans la politique depuis les années 1987. Je me suis intéressé au Palipehutu, un parti clandestin qui nous livrait des informations sous forme de tracts mais qui nous plaisaient beaucoup. On était dans un monde monopartite, avec le seul parti Uprona, on avait besoin de savoir ce qui se passait autour de nous. C’est en lisant les tracts du Palipehutu que je suis entré en politique.

Et après ?

En 1990, j’ai adhéré au parti Sahwanya-Frodebu. Il fallait faire un autre pas vers un militantisme politique officiel et légal.

Et à quand et pourquoi la création du parti Conseil des patriotes (Cdp) ?

Le Cdp a été fondé en 2007. J’avais une ligne politique de sortie de crise liée à la démocratie, au développement, à la pauvreté, à l’instabilité chronique. Avec l’arrivée au pouvoir du Cndd-Fdd, en 2005, nous avons vu la résurgence d’une crise au sein de la lutte armée et avec des tâtonnements inacceptables au niveau de la gouvernance politique.

Il s’observait que Hussein Radjabu, ancien président du Cndd-Fdd et député, avait en même temps une main dans le législatif et dans l’exécutif.

Je dois rappeler que j’ai longtemps lutté au Cndd de Léonard Nyangoma. En quittant le Burundi, j’ai continué à soutenir le Cndd-Fdd.

Alors, constatant les dérives du parti au pouvoir, on s’est dit, il faut penser à autre chose qui puisse sauver le Burundi. D’où la création du parti Cdp-Inserukarukamye (les intrépides). Un parti qui a été créé pendant les moments durs. Quand on est en face d’une situation dure, on ne la fuit pas, on l’affronte.

Justement d’aucuns s’interrogent sur cette dénomination disant que votre parti n’a jamais été au front ?

Ceux-là sont des gens qui ne nous connaissent pas. Tous ceux qui ont créé le Cdp ont été au front. Avec le début de la rébellion à Kamenge contre le pouvoir de l’Uprona, nous avons été les premiers à animer la résistance à Kamenge avec les jeunes « Intagoheka ». D’ailleurs, je vous ai dit que j’étais gardé. J’avais une garde de 11 éléments armés.

Je dois informer l’opinion que c’est moi qui ai recruté les 56 intellectuels qui sont arrivés dans la Kibira pour des entraînements militaires. Parmi ces intellectuels figurent actuellement des hauts gradés.

En plus, avec le journal le « Témoin-Nyabusorongo » que je présidais, nous avons essayé de donner un peu d’énergie à ceux qui luttaient contre la dictature d’alors. Avant de m’exiler, j’ai été toujours aux côtés des combattants.

Pourquoi n’avez-vous pas voulu rejoindre les autres au maquis ?

Je dois préciser que je me suis marié très jeune en 1995. Quand j’ai dit à ma femme, qui était enceinte et résidait en Côte d’Ivoire, que j’allais rejoindre les autres dans le maquis, elle a failli avorter. Par peur de cet avortement, je lui ai dit que je renonce d’y aller et que je vais la rejoindre sous peu.

Avec les dernières présidentielles, vous avez battu campagne du côté du Cndd-Fdd. Pourquoi cette alliance ?

Ce n’était pas une question d’alliance, c’était plutôt une question d’appréciation politique. Je venais fraîchement de l’étranger en décembre 2019 pour participer aux élections de juin 2020. Le temps était court. Quand nous avons présenté le dossier pour les présidentielles, il a été rejeté. N’ayant pas de candidat aux présidentielles, il fallait donner les voix à quelqu’un d’autre. Nous avons opté pour le général Evariste Ndayishimiye pour les raisons suivantes.

Il a collaboré avec moi quand je négociais mon retour et celui des autres exilés politiques se trouvant en Europe. Il avait été mandaté par feu président Pierre Nkurunziza pour nous écouter. Et quand quelqu’un vous écoute et qu’il met en application les clauses convenues, celui-là est honnête.

De plus, et à ma connaissance, c’est quelqu’un qui a les mains propres. Il n’a pas de dossiers de corruption ou de détournement des deniers publics qui traînent derrière lui. Bref, nous n’avons pas perdu nos voix. Nous les avons plutôt orientées là où il fallait.

Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le Cnared ?

Pour moi et les autres amis, il ne fallait pas que l’opposition soit toujours absente dans les élections. Elle a été absente en 2010 et 2015. Nous avons dit non en 2020.

Mes amis au Cnared m’ont traité de tous les noms. Mais j’avais une ferme conviction qu’il fallait participer à tout prix aux élections. Un homme politique ne doit pas fuir les élections tout en prétextant par exemple qu’elles sont mal préparées ou truquées d’avance. « Venez les préparer et les surveiller avec les autres ».

Que le Cnared ne participe pas aux élections n’était pas mon souci. J’ai décidé de le quitter et je suis tranquille.

Beaucoup d’années en exil, que ce soit en Afrique et en Europe. Des regrets par rapport à ce parcours ?

Pas du tout. Mon parcours a été un parcours de la vie et d’apprentissage. En Côte d’Ivoire, j’y ai décroché deux diplômes universitaires. Et la guerre a éclaté au moment où j’allais en avoir un autre. J’y ai aussi travaillé dans des sociétés de communication.

En Europe, surtout en Allemagne, j’y ai appris les méandres de la vie et du monde du travail. J’ai côtoyé plusieurs personnes de différentes nationalités avec des tempéraments différents.

Ce qui m’a manqué, c’est la mère-patrie. Bref, l’exil a été une école de la vie pour moi.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

A moitié. Ceci parce qu’il y a beaucoup de trahisons dans ce monde. Les amis se trahissent. L’homme n’est pas nécessairement bon parce que les intérêts priment avant l’humanité.

Pensez-vous à la mort ?

J’y pense le plus rarement du monde. Quand ça survient, c’est pour moi une mauvaise surprise. Je ne casse pas mon subconscient à penser à la mort.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Je n’ai pas les mots pour le dire. Dieu est extraordinaire, incomparable. Quand je vois comment il a créé l’homme, toute partie a été calculée avec une précision extraordinaire qui dépasse notre entendement.

Propos recueillis par Félix Haburiyakira

Source: IWACU Burundi

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