Média : les coulisses d’un déblocage

Tout s’est joué dans 24 heures chrono. Alors que le site internet officiel du journal est bloqué depuis octobre 2017, en quelques minutes, il va être débloqué. Une histoire hallucinante. D’abord les faits.

Vers le 10 octobre 2017, l’accès au site d’Iwacu est perturbé au Burundi. Iwacu reste prudent et ne veut pas conclure vite que le site a été bloqué. S’agit-il d’un problème technique, d’un hacking ou d’un blocage?

Aucun des opérateurs burundais dans le domaine informatique contacté ne veut s’exprimer à visage découvert. Ils ne sont pas à même d’expliquer le phénomène.

Ils constatent comme le tout le monde. Ils reconnaissent que le problème ne leur est pas familier. Avant de soutenir qu’ils sont à court d’explications.

Pourtant, le message qui s’affiche sur l’écran quand un internaute tente à accéder au site laisse penser à un blocage. Différents messages apparaissent quand on tente d’ouvrir le site : « The site you were looking for doesn’t exist», et celui-là au début : «The site you are accessing belongs to user-defined category. The URL or page has been blocked.» Tout le monde en déduira que le site a été purement et simplement fermé. Certes, en octobre 2017, une « panne » avait frappé quasiment tous les sites des médias burundais pendant au moins 48 heures. Ce blocage, presque général a été documenté par l’organisation américaine NetBlocks. Mais, après 48 heures, la situation était redevenue normale. Les sites des médias burundais ont été de nouveau accessibles. Tous ? Non, sauf le site officiel www.iwacu-Burundi.org

Au début, tout le monde pense que c’est une panne technique, un problème avec ALTEO, notre hébergeur situé en France. Une boîte sérieuse.

La professeure (ULB) Laurence Dierickx, journaliste, spécialiste en développement web qui accompagne Iwacu depuis de nombreuses années et Elvis Mugisha (notre webmaster) se mettent à l’œuvre pour détecter cette « panne ». Après quelques jours d’investigation du côté Iwacu et chez l’hébergeur, les deux spécialistes se rendent à l’évidence : le problème se trouve certainement du côté burundais mais pas chez Iwacu.

Des tractations vont commencer. Elles sont très compliquées, car côté gouvernemental, la réponse est invariable : « c’est un problème technique, trouvez la solution. » Personne ne fait l’effort ou ne veut se mouiller pour demander pourquoi ce problème « technique » n’affecte que le site d’un seul média au Burundi, Iwacu. Iwacu est bel et bien bloqué. Par qui ? Personne ne veut le dire ou l’assumer.

De dépit, Iwacu se tourne vers RSF qui met son dispositif « Collateral Freedom » au service d’Iwacu. L’opération « Collateral Freedom » permet de contourner la censure de l’Internet grâce à un dispositif fondé sur la technique du « miroir », consistant à dupliquer les sites censurés et à en héberger des copies sur des serveurs internationaux appartenant à des « géants » du web. Iwacu reste donc accessible au Burundi uniquement via le site « miroir » ou une connexion avec un VPN.

La source de l’hostilité envers Iwacu

Le site est donc reste inaccessible malgré les multiples demandes d’Iwacu pour le déblocage. Un homme a joué un rôle extrêmement nocif dans cette situation : Nestor Bankumukunzi, l’ancien Président du CNC. Ouvertement hostile au journal, il a tout fait pour faire fermer le journal. Pendant toute la durée de son mandat, « Iwacu était convoqué au CNC quasiment toutes les semaines », se souviennent les anciens. Dans ses communiqués, le Président du CNC de l’époque, aveugle sur toutes les dérives des autres médias, pointait toujours « les graves manquements du journal Iwacu ». A défaut de fermer Iwacu, il interdira le forum du journal, un espace de liberté, très aimé par les Burundais. Si Nestor Bankumukunzi a échoué pour fermer Iwacu, il a réussi à faire du journal la bête noire du gouvernement, à installer dans l’opinion que le journal est à la solde « des Occidentaux ». Pour rappel, à l’époque, le pays est frappé par des sanctions internationales, dont celles de l’Union européenne. Ce qui explique que le pouvoir n’était pas disposé à ouvrir le site d’un média présenté par le CNC comme « hostile au gouvernement ».

La stratégie de Nestor Bankumukunzi va payer. Le site est fermé et pendant longtemps, c’est le statu quo.

Gitega, Vestine Nahimana, le déclic

Du 24-25 novembre 2022 s’est tenue à Gitega la 3e édition des états généraux des Médias. A Gitega, les professionnels des médias ont parlé des défis, des réformes pour la professionnalisation du métier, bref, toutes les questions qui hantent les journalistes et leurs médias ont été passées en revue. Iwacu participe aux assises. Sans grande illusion.

Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome (un grand merci à lui) va lancer le pavé dans la mare. M. Rufyiri a demandé ce qui empêche que « le site web soit accessible pour les lecteurs au pays. »

La présidente du CNC va donner une réponse extraordinaire, courageuse et elle doit être remerciée pour cela.

En gros, la présidente du CNC explique que « Le problème n’est plus du ressort du CNC ». Mieux, avec un art consommé de la diplomatie (elle a été ambassadrice), elle rappelle  la campagne « Jamais sans les médias », lancé par le président Ndayishimiye. La présidente du CNC insiste sur la volonté du président de la République d’assainir les relations avec les médias : « S’il nous donne un ordre, nous nous devons de l’exécuter. » Et, cerise sur le gâteau, elle lâche : «  Peut-être que le problème se trouve à un niveau technique ». En fait, tout est dit.

En termes moins diplomatiques, elle dit en substance : le problème n’est pas politique, il est technique et le président de la République a parlé. Iwacu a compris qu’il n’y a plus aucune entrave à l’ouverture du site. Mais qui va l’ouvrir ? L’ARCT (l’agence de régulation) s’en lave les mains. Les sociétés qui distribuent l’internet nous disent tous que le problème n’est pas chez elles. « Iwacu est un client », pourquoi une société bloquerait le site d’un client, ont répondu tous les « providers »

d’internet interrogés par Iwacu. Bref, après les assises de Gitega, le risque est grand de retourner à la case de départ, de tourner en rond. Mais la Présidente du CNC a donné une information de taille : «la question n’est plus politique. » Il faut trouver le « nœud » du problème. Et ce n’est pas facile.

Mercredi 30 novembre, le déblocage

En fin de soirée, Antoine Kaburahe, le fondateur d’Iwacu contacte la rédaction. D’après lui, une source fiable affirme que la clef du déblocage se trouverait chez BBS.

Les journalistes qui travaillent sur le dossier sont sceptiques. BBS ? On se précipite sur le site de l’organisation pour lire que « Burundi Backbone System Company est un consortium d’opérateurs de télécommunications burundais qui ont uni leurs forces pour construire un réseau national de fibre optique avec l’aide de la Banque mondiale. La société a été lancée en mars 2013. Burundi Backbone System Company est un fournisseur national de services Internet basé sur une connectivité à large bande fournie sur le plus grand réseau de fibre optique au Burundi. »

Pendant toutes ces années, le nom BBS n’est pas vraiment cité. Les soupçons sont sur l’agence de régulation, ARCT.

« Chercher BBS », nous recommande Antoine Kaburahe. Apparemment, il est sûr de son coup.

Il nous dit que sa source lui a expliqué que toutes les sociétés qui distribuent l’internet « s’approvisionnent » chez BBS et qu’il est facile pour cette société de bloquer l’adresse IP publique d’un site internet. « Adresse IP publique ? », du chinois pour la plupart des journalistes. « L’adresse IP Publique est une adresse unique, pour que le site web d’Iwacu puisse être accessible sur internet, sur le réseau public mondial » tente d’expliquer, sans convaincre, Antoine Kaburahe. Mais visiblement notre collègue lui-même ne comprend pas grand-chose, il semble répéter ce que lui a dit sa source, « spécialisée et très bien informée ». Il insiste : « Oui, BBS ! Lisez sur leur site : ‘’Burundi Backbone System Company est un fournisseur national de services.’’ Il semble que tout passe chez eux! »

Les explications du fondateur d’Iwacu laissent de marbre les journalistes à Iwacu. De dépit, il nous dit : «  Trouvez-moi le nom, le mail et le WhatsApp du patron de BBS. » Dans cinq minutes, c’est fait.

Il est 17h15. Dans 30 minutes, après plus de 5 ans de blocage, le site sera ouvert. Un récit digne d’un film. Antoine Kaburahe raconte :

15 minutes chrono

En fait, tout s’est joué simplement, rapidement, en moins de 15 minutes. Ma source avait été formelle. « La clef se trouve chez BBS. » J’ai donc envoyé un mail et un message WhatsApp au patron de cette société. Je me suis présenté et je lui ai expliqué la situation.

Source: IWACU Burundi