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Concubinage : cet éternel mal qui disloque les familles

L’une des violences basées sur le genre, le concubinage est loin d’être éradiqué, malgré des campagnes de sensibilisation. Dans la plaine de l’Imbo, notamment à Bubanza, l’une des localités où ce phénomène est fréquent, victimes et auteurs témoignent.

Fief de la riziculture, surtout dans la commune Gihanga, Bubanza regorge de champs de riz qui s’étendent à perte de vue. Derrière cet ‘’or blanc’’ se cache la peine des mères de famille qui ont pourtant travaillé d’arrache-pied pour une bonne production. Quand vient la période des récoltes, les hommes s’accaparent de toute la production et gardent le monopole de la gestion des récoltes. Et quand l’argent coule à flot, ils cèdent à la tentation de s’offrir un « 2e bureau ».
C’est l’histoire de Jacqueline Nduwimana, 40 ans, habitante de la commune Mpanda. Elle a été délaissée par son mari, lui laissant quatre enfants.

Riziculteurs, ils menaient une vie de couple parfaite jusqu’à ce qu’un beau jour, Jacqueline rentre de l’église et trouve la maison vide. Son mari a pris plus de 20 sacs de riz qu’ils venaient de récolter et est allé vivre avec une autre femme, dans la commune Gihanga. Son épouse ne l’a plus revu jusqu’ici. « Il change de femme comme il veut. Aujourd’hui, il arrive à une 4e».

La seule terre à cultiver que Jacqueline possédait, qu’elle s’est procurée avec ses propres moyens, a été attribuée à cette concubine par le parquet de Gihanga, assure-t-elle « Je n’ai plus jamais revu mon mari. Je suis dans la rue avec les enfants. Alors que nous sommes unis par le lien du mariage», confie, non sans peine, cette maman.

Emmanuelle Nicitegetse, 35 ans, est une autre victime du concubinage de la même commune Mpanda. Auparavant, elle, son époux et leurs deux enfants formaient une petite famille heureuse. Ils habitent dans la commune Musigati, province Bubanza. « Au début de notre mariage en 2002, tout va bien. Mon mari me traite comme une reine. Je ne manque de rien. Il me cherche même une nounou pour m’aider à garder les enfants. » Ce qui est rare, fait-elle remarquer, dans les ménages ruraux.

La famille élève cinq vaches. Un jour, le mari convainc la femme à vendre toutes ces vaches pour acheter une maison. Emmanuelle est séduite par le projet. « Une fois les vaches vendues, je n’ai plus revu mon mari. Il a pris tout l’argent et est parti dans la commune Mpanda pour entretenir une autre femme».

Depuis lors, la vie est très dure pour Emmanuelle. Elle ne peut plus nourrir ses deux enfants. Jusqu’à ce qu’elle rejoigne une association d’épargne et de crédit des femmes victimes de concubinage. Aujourd’hui, ses conditions de vie se sont améliorées. Elle s’est lancée dans un petit commerce de légumes : « Je me débrouille pour avoir chaque jour ne fût-ce que 1.000 BIF pour nourrir mes enfants. »

A défaut du devoir conjugal, le « 2e bureau » à tout prix !

Donatien Gaparata, 28 ans, de la commune Gihanga est un homme qui a deux ménages. Vendeur de poules, il s’est marié à la première femme à l’âge de 16 ans. A un certain moment, il n’était pas satisfait comme il le voulait : « La première chose qui pousse un homme à épouser une femme, vous le savez, c’est le devoir conjugal. »

Lorsque le couple est à son 4e enfant, la femme commence à poser des limites sur leurs relations sexuelles. « Si un homme ne peut plus assouvir son désir auprès de sa femme, il est tenté d’aller chercher ailleurs. C’est ce qui s’est passé dans mon couple. » Il affirme de surcroît que sa femme, âgée de 32 ans, ne prenait plus soin de lui.
C’est en 2020, 6 ans après son mariage, qu’il décide de vivre avec une autre femme âgée de 22 ans. Ils ont eu deux enfants, en plus des quatre que Donatien a eus avec la première femme.

Ce papa de six enfants est convaincu qu’avoir une 2e femme n’est pas un crime, « si l’on a une bonne raison de le faire ». Il reconnaît, toutefois, que cela crée des problèmes à partir du moment où l’on a des enfants avec chaque femme. « Je sais que c’est contraire à la loi, mais nous le faisons en connaissance de cause, nous n’avons pas le choix».
Donatien confie que ce n’est pas facile de gérer deux familles. Mais pour lui, la priorité est la femme qui a plusieurs enfants.

Les associations féminines dépassées

Antoinette Ndayitegeyamashi est présidente de l’association des femmes victimes du concubinage de la commune Mpanda qui réunit 20 femmes délaissées par leurs maris. Cette coopérative d’épargne et de crédit est en train d’améliorer leurs vies. « Certaines d’entre elles pratiquent désormais l’élevage».

Pour cette défenseure des droits des femmes, le concubinage est un phénomène très difficile à éradiquer. Représentante du forum des femmes sur sa colline Gahwezi, commune Mpanda, elle indique que les associations féminines, en collaboration avec les autorités locales, ont pris l’initiative de faire du porte à porte pour chasser les concubines. Mais cette tâche reste compliquée car beaucoup d’hommes qui ont des concubines viennent d’autres provinces ou communes pour venir vivre avec une autre femme de cette localité. « Si ce sont des gens que nous ne connaissons pas, nous ne pouvons pas savoir s’il a une autre femme ou pas dans la localité d’où il est originaire».

Mme Ndayitegeyamashi parle de plus de 50 cas de concubinage sur sa colline Gahwezi qui compte autour de 1.000 ménages. Elle fait savoir que la plupart des auteurs sont des hommes venus d’autres provinces comme Karusi, Kayanza, Mwaro et Muramvya.

Des autorités complices

Cette représentante du forum des femmes affirme que la répression de cette violence basée sur le genre laisse encore à désirer : « Certaines autorités corrompues feignent d’emprisonner les auteurs. Mais quelques jours après, ils sont libérés. » Et d’enchaîner : « Nous faisons l’effort de dénoncer les auteurs du concubinage, volontairement, sans être payés, au risque d’être menacées. Cela nous décourage.»

La représentante des médiateurs de la paix dans la province Bubanza, Analysa Ndamuhawenimana, affirme aussi que la question du concubinage reste négligée par les autorités : « Si elle était sérieusement réprimée, elle n’existerait plus dans les communautés. »

Elle assure que le grand problème est que certaines autorités locales entretiennent des concubines « Il est difficile d’éradiquer cette violence car ceux qui étaient censés y mettre fin sont aussi concernés. »

Le concubinage est défini par la loi de 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des VBG comme « le fait qu’un homme marié légalement vit avec une ou plusieurs comme épouses en dehors ou au sein du foyer conjugal». Cette infraction est punie par le code pénal dans son article 554 : « Le conjoint convaincu d’avoir entretenu un(e) concubin(e) est puni d’une amende de 50 à 100 mille BIF. Elle est portée au double lorsque le concubinage est pratiqué dans la maison conjugale. La poursuite ne peut avoir lieu que sur plainte de l’époux offensé. »

Une peine très légère, pour le premier substitut du procureur de Bubanza, Alexis Rukundo. D’après lui, la peine souvent appliquée dans le cas du concubinage par les juridictions est celle de « relation extraconjugale », punie d’une servitude pénale de 1 mois à un an et d’une amende de 100 à 200 mille BIF. Elle est portée au quadruple lorsque la relation a lieu dans la maison conjugale.


Source: IWACU Burundi