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Droits de la femme: Une regression

Les mesures prises, vendredi 3 février dernier, par l’administratrice de la commune Bweru en province Ruyigi, Diane Nibitanga, suscitent des remous. Parmi ces mesures, il y a l’interdiction aux femmes et aux jeunes filles de circuler au-delà de 19h sans être chaperonnées par leurs époux ou leurs parents pour les jeunes filles. Discriminatoire, hallucinant, sexiste… les qualificatifs pleuvent.

« Ce que vous devez savoir, c’est que ce n’est pas une décision. Un communiqué est différent d’une décision », justifie Diane Nibitanga, administratrice de la commune Bweru. L’administratrice n’a pas voulu donner plus d’explications sur les motivations de ces mesures. Malgré des réticences à donner des informations par téléphone, évoquant les recommandations de sa hiérarchie, Mme Nibitanga fait savoir que celui qui a diffusé en premier cette information est en train d’être poursuivi par la justice parce qu’il ne l’a pas interrogée : « Si un communiqué est lu dans les églises, il n’a pas le droit de le commenter sans nous avoir interrogé pour avoir plus de compléments. Vous comprendrez qu’il va donner de fausses informations.»

Sans révéler son identité, Diane Nibitanga fait savoir que cette personne est connue et qu’elle n’a pas été appréhendée : « C’est parmi ceux qui se disent journalistes. Cela ne peut pas le conduire dans un cachot mais il n’a pas bien fait son boulot. Je ne connais son identité et, d’ailleurs, ce n’est pas mon travail. »

Interrogée si l’administratrice avait les prérogatives pour prendre ce genre de mesures, la gouverneure de la province Ruyigi, Emmerencienne Tabu, répond : « Est-ce qu’il lui est interdit de prendre des décisions dans sa propre commune ? » Et pour ceux qui disent que ces mesures sont discriminatoires, elle réagit avant de nous raccrocher au nez : « Humm, vraiment vous me faites rire ! A votre avis, tu trouves normal que 19h arrive sans que tu saches où est ta femme ?»

Interdiction de circuler pour les femmes au-delà de 19h

Dans un communiqué sorti le 3 février dernier, Diane Nibitanga a pris cinq mesures dans le but de sauvegarder la sécurité de la population, surtout pour les femmes et les enfants ainsi que la protection des bonnes mœurs : les fêtes et les rassemblements religieux ne peuvent pas avoir lieu après 18h; les marchés doivent fermer à 18h ; interdiction aux jeunes filles de circuler au-delà de 19 h sans être chaperonnées par leurs parents ; interdiction aux femmes de circuler ou de fréquenter les cabarets au-delà de 19h sans être accompagnées par leurs maris ou fournir une raison valable ; les mineurs de moins de 18 ans sont interdits de fréquenter les bars sans leurs parents. « Ceux qui passeront outre ces mesures seront punis conformément à la loi et en plus ils paieront des amandes».

Ces dernières années, de telles mesures avaient été prises dans plusieurs communes. Marie Chantal Nduwayezu, administratrice de la commune Gishubi en province Gitega, avait pris la même mesure en février 2021. Elle avait expliqué : «?Nous voulons protéger et sauver les foyers qui étaient menacés de dislocation. La mesure ne vise pas seulement les femmes. Elle concerne les hommes qui dépassent 19h avec les femmes qui ne sont pas les leurs, et vice-versa. Cela permet de limiter ou d’éradiquer la débauche et les divorces qui étaient devenus monnaie courante. »

Le 5 novembre 2020, une telle mesure avait été prise par l’administratrice de la commune Ruhororo en province Ngozi, Mamerthe Birukundi. D’après elle, certains hommes sont allés se plaindre que leurs femmes sont devenues ingérables.

Dans son communiqué du 6 mai 2019, l’administrateur de la commune Musongati en province Rutana, Jean-Damascène Arakaza, avait pris la même décision. Le motif évoqué est que certaines femmes s’enivrent, commettent l’adultère et déstabilisent ainsi leurs foyers.

Jubilations pour certains …

Sur la toile, les avis divergent. « Tu sais comment c’est honteux de voir une femme dans la rue pendant la nuit alors que son mari est à la maison. Sans parler lorsque tu la vois avec d’autres hommes », réagit un internaute. Pour un autre internaute, les droits des femmes ne signifient pas rentrer la nuit et demander à son mari de lui ouvrir.

D’autres jugent ces mesures inacceptables. « C’est hallucinant ce qui se passe chez-nous. Elle feint de ne pas savoir qu’il y a des femmes veuves, des femmes cheffe de ménage, des femmes non mariées, des filles orphelines qui élèvent leurs petits frères et petites sœurs, etc. », s’indigne un internaute.

… et indignation chez les défenseurs des droits des femmes

Chez les défenseurs des droits de la femme, c’est l’indignation totale. « C’est dommage de voir de telles mesures prises en 2023 dans notre pays. Nous sommes quand même un Etat qui s’affirme de droit, où chaque citoyen doit, effectivement et sans discrimination, jouir de son droit constitutionnel à la liberté de mouvement », s’insurge Inès Kidasharira, activiste des droits de la femme.

Pour elle, ces mesures sont illégales et injustes envers une partie de la population et elle espère qu’elles seront annulées par les autorités de tutelle, en l’occurrence le gouverneur de province ou le ministre ayant l’administration territoriale dans ses attributions.

Elle rappelle que la libre circulation est garantie pour tous dans un pays de paix, sauf restriction fondée sur une base légale et justifiée par l’intérêt général, comme par exemple la sécurité des personnes ou des biens. « Or, je doute qu’il y ait des problèmes de sécurité exceptionnels dans cette commune pour justifier de telles mesures dignes d’un Etat en guerre. C’est quand même étonnant qu’il y ait des gens qui trouvent des justifications à de telles mesures discriminatoires».

Inès Kidasharira trouve aberrant de confier l’entière responsabilité de la sauvegarde des mœurs aux seules femmes et filles. Pour elle, quand il y a un problème dans une communauté, ce problème concerne tous les citoyens et non pas un seul groupe de gens. « J’ai ouïe dire que ces mesures seraient prises pour décourager un phénomène appelé « kurya umugwe », phénomène qui consiste à enivrer les femmes ou les filles pour les violer plus tard sans qu’elles en soient conscientes.

Si l’administration est déjà au courant de ce phénomène, elle devrait le considérer comme une forme de VSBG et agir en conséquence». Pour cette activiste, les femmes et les filles sont victimes et non auteures. « Qu’a fait l’autorité compétente, à savoir la police ou le parquet, pour appréhender et punir les auteurs de ces crimes ? »

Inès Kidasharira trouve que l’administratrice communale aurait dû mobiliser, si elle ne l’a pas fait, toutes les parties prenantes en l’occurrence la police, les chefs de zones et les autres instances, dans une réunion pour discuter de ce problème, analyser les causes profondes à cette insécurité pour les femmes et filles et arrêter des mesures plus justes et plus légales et non sexistes.

Quant à Médiatrice Niyokwizigira, représentante légale de l’ Association pour la Promotion de la Fille Burundaise (APFB), elle estime que l’administratrice communale aurait dû d’abord punir les coupables des violences envers les femmes et jeunes filles. « Prendre cette décision à l’endroit de toutes les femmes de la localité alors qu’il y a celles qui gagnent leur vie de manière décente jusqu’à 20h, c’est bafouer leurs droits. Nous lui demandons d’être impartiale dans les sanctions parce que ne punir que les femmes et les filles fait partie des actes discriminatoires et sexistes».

D’après elle, sa décision est contraire à la loi parce que la loi du 22 septembre 2016 portant sur la prévention et protection des victimes de violences basées sur le genre qui stipule qu’il est interdit de menacer une personne, de la priver de ses droits en vue d’exercer sur elle tout acte de violence basée sur le genre. « Elle vient aussi bafouer quelques droits, dont celui du respect de la vie privée, l’épanouissement et la libre circulation des personnes. » Elle appelle les autorités concernées à l’impartialité car tous les hommes naissent libres et égaux devant la loi. « Quant à la préservation des bonnes mœurs, elle n’engage pas que les filles et les femmes seulement, mais aussi tout citoyen sans exception aucune».

Pour Marie Louise Baricako, présidente du Mouvement des femmes et des filles pour la paix et la sécurité au Burundi (MFFPS), les mesures prises par l’administratrice de Bweru suscitent beaucoup de questions sur les droits des femmes, des filles et des enfants au Burundi. « C’est une excellente chose de voir que l’administratrice de Bweru est préoccupée par la sécurité de sa population ainsi que notre culture et l’éducation burundaise.

C’est une réalité que la sécurité pour tous a encore besoin d’être assurée vu la manière dont les violences faites aux femmes prennent une ampleur jamais atteinte auparavant. Toute décision visant l’éradication de ces violences est plus que la bienvenue. »

Toutefois, Mme Baricako se pose des questions : « A voir le communiqué, le gros de ce qui est interdit concerne les femmes, les filles et les enfants. Seraient-ils responsables de toutes ces violations qui sont commises ? Seraient-ils responsables de l’insécurité qui prévaut au Burundi ? Sont-ils à la base de la détérioration de notre culture ? » Même si le communiqué expose bien le problème, souligne-t-elle, il se perd dans la voie de solutions si bien qu’il risque de causer plus de tort que de bien.

« Pourquoi cette décision est-elle discriminatoire à l’égard des femmes des filles et des enfants au lieu de chercher à éliminer le mal en ciblant les véritables auteurs ? Ceux qui dirigent le Burundi ignoreraient-t-ils les droits des femmes pour comprendre qu’aucune décision ou loi ne devrait plus discriminer qui que ce soit, y compris les femmes ? » Marie Louise Baricako se demande comment est-ce possible qu’une personne en charge de l’administration discrimine encore des groupes en ce moment où nous sommes en plein cœur dans la recherche de la matérialisation de l’égalité homme-femme devant la loi et dans le système de gouvernance ?

« On se serait attendu à ce que Madame Diane Nibitanga ou toutes ces autres femmes qui ont eu le privilège d’accéder aux instances de prise de décisions soient les premières à défendre les droits des femmes et des filles partout où elles se trouvent.

Voilà que ce sont elles-mêmes qui nous ramènent à l’époque traditionnelle lorsque la femme n’avait pas de place». Selon cette activiste des droits de la femme, cela fait aujourd’hui plus de 30 ans que la Convention sur l’élimination de toutes formes de discriminations à l’égard de la femme a été adoptée. Et de conclure : « Les femmes devraient en être les premières gardiennes.»

Source: IWACU Burundi