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Buringa : Des « voisins » envahissants

Au moins huit hippopotames se sont installés, à Buringa, commune Gihanga et province Bubanza. Des champs agricoles sont abîmés. Craignant pour leur sécurité, une partie des habitants de cette localité demande qu’ils soient remis dans leur habitat habituel. Pour d’autres, ils y voient une opportunité. Reportage.

A proximité de la barrière policière, à plus ou moins 100 km de la rivière Mpanda, zone et colline Buringa, des passants s’arrêtent. Aux environs de 10h, un attroupement de gens s’observe sur la rive ouest de la route Bujumbura-Cibitoke. Les yeux rivés sur une sorte d’étang qui s’est formé après l’extraction de l’argile pour la fabrication des briques. « Des hippopotames sont là. J’ai déjà vu huit bêtes. Et c’est la première fois que je les vois de près. C’est vraiment intéressant », se réjouit un jeune homme, croisé sur place. Et personne ne les dérange, ajoute ce garçon. « Ces militaires-là veillent sur eux. Si tu tentes de les agresser en jetant une pierre, ils t’en empêchent », confie-t-il, avant de repartir sur son vélo vers Gihanga.

Oscar Nyandwi, un homme de la localité, assure que le premier hippopotame est arrivé là en 2020 : « C’est après les fortes pluies de 2020 qui ont fait monter les eaux du lac Tanganyika et provoqué les crues de la Rusizi que nous l’avons vue. C’était une femelle. Quelques jours après, un mâle l’a rejoint. » Après, poursuit-il, d’autres sont venus peupler cet endroit.

Ce père de famille, la soixantaine, affirme en avoir vu huit, dont un petit. D’autres sources sur place parlent de plus de dix hippopotames.
A Buringa, ces animaux n’attirent pas seulement des curieux, mais aussi ils inquiètent. « Jusqu’à maintenant, ils n’ont encore blessé personne. Mais comme ils deviennent de plus en plus nombreux, rien ne nous garantit qu’ils vont rester calmes. Nous craignons beaucoup pour notre sécurité », confie J.N., un habitant de Buringa.

Il signale qu’avec leur présence, les gens ne sortent plus souvent dehors, la nuit tombée : « Ils sortent de cet étang, le soir, pour aller brouter dans les champs de maïs, de haricot. Ils traversent la route et arrivent près des habitations».

Ndavyi, un agriculteur de la localité, déplore que ces animaux détruisent leurs champs agricoles : « Quand ils arrivent dans ton champ de maïs, de haricot, ils ne te laissent rien. J’avais un champ de maïs, tout a été presque ravagé. En tout cas, ils ont détruit ma récolte à plus de 70%. »
Cet homme indique qu’ils ont eu recours à des épouvantails pour protéger leurs champs mais, peu à peu, ces animaux démasquent cette technique.

La peur

A Buringa, une partie de la population pense que ces hippopotames devraient être relocalisés. « Nous demandons aux services en charge de la protection de l’environnement de reconduire ces animaux dans le lac Tanganyika ou dans la rivière Rusizi », plaide Canisius, un agri-éleveur de la localité. Et de faire remarquer que leur présence constitue un danger public : « Vous constatez qu’ils se trouvent près de la route Bujumbura-Cibitoke. Supposons qu’ils sortent un jour pendant la journée, les dégâts risquent d’être énormes. Ils vont arrêter la circulation. D’où l’urgence de les relocaliser. » Il déplore aussi les cas de destruction des champs agricoles : « Nous entendons que chaque animal a besoin d’au moins 1 tonne d’herbes par jour. Ce qui signifie qu’ils vont s’attaquer à nos champs. »

D’après lui, si on décide de les laisser là-bas, d’autres hippopotames vont les rejoindre. « S’ils arrivent à 20, à 30, on ne va plus récolter nos champs. Il vaut mieux alors prévenir ce genre de scénario », insiste-t-il. Il appelle le ministère de l’Environnement à agir vite.

Une opportunité

Quant à O.K., un autre habitant de Buringa, il estime que les reconduire dans le lac Tanganyika ou la rivière n’est pas une solution durable et bénéfique. Il souligne que ces animaux se trouvent dans une partie du parc national de la Rusizi : « Là où ils se sont installés, c’est dans la partie palmeraie, une zone intégrante du parc. Ils n’ont délogé personne. » Pour lui, il faut tout simplement mettre une clôture pour délimiter la partie parc national et celle des particuliers. « Ainsi, ils vont brouter dans la réserve. Ils ne vont pas s’introduire dans nos champs».

Contrairement aux autres, lui, il y voit une opportunité de développer le tourisme. Cette partie étant proche de l’aéroport international Melchior Ndadaye, il juge opportun de constituer un site touristique à proximité de ce point stratégique : « Je ne doute pas que des gens, des étrangers viendront voir les hippopotames de plus près. Et notre commune ou notre pays pourra gagner de l’argent. »

Très attaché à la protection de l’environnement, il soutient que cela serait facile de suivre leur situation sanitaire ou leur reproduction : « S’ils sont remis dans le lac ou dans la rivière Rusizi, je suis sûr qu’on ne pourra plus savoir combien ils sont, leur état sanitaire, etc. Mais, s’ils sont dans une zone bien contrôlée, même en cas de maladie, on pourra les soigner.»

D’après lui, les hippopotames ne sont violents qu’en cas de légitime défense ou pour protéger leurs petits.

Qu’en disent les environnementalistes ?

Pour Léonidas Nzigiyimpa, président de l’ONG 3C (Conservation et Communautés de Changement), ce mouvement inhabituel est expliqué par l’explosion démographique. Ce qui provoque, selon lui, la perte de leur habitat et une grande partie de leur pâturage. « Ils manquent donc de nourriture. Et là, ils se retrouvent donc obligés de se déplacer».

Albert Mbonerane, ancien ministre de l’Environnement, explique ce mouvement par le fait que leur habitat n’est pas en sécurité : « Il n’y a plus de zone tampon pour leur détente. La partie est désormais envahie par des maisons, des hôtels, des plages et des champs agricoles.»

Et Tharcisse Ndayizeye, environnementaliste et professeur d’université, d’ajouter qu’ils sont victimes des changements climatiques : « Ces animaux sont des amphibiens. Ce qui signifie qu’ils devraient passer toute la journée dans l’eau pour se protéger contre le soleil. Et sortir la nuit pour aller brouter. » Mais, suite aux effets des changements climatiques, analyse-t-il, ils sortent souvent la journée. Et pour s’adapter, ils peuvent secréter une substance pouvant leur permettre de passer beaucoup de temps en dehors de l’eau.

Face à cette présence inhabituelle des hippopotames, ces environnementalistes émettent des propositions. M.Nzigiyimpa suggère d’abord de les remettre dans le lac Tanganyika et dans la Rusizi. « On doit d’abord les anesthésier et les transporter vers là. Il y a des fusils pour cette technique».
Une option pas facile à exécuter, car « le Burundi ne dispose pas de vétérinaire spécialisé en ce genre d’action ». De surcroît, il déplore le manque de véhicules adaptés pour le transport des animaux sauvages vivants.

M.Nzigiyimpa signale qu’ailleurs ils ont des structures spécialisées en la matière, y compris des hélicoptères destinés à ce travail.
« La solution la moins efficace est de les pousser peu à peu en les dirigeant vers les cours d’eau qui se jettent dans la rivière Rusizi et le lac Tanganyika. Mais, c’est très difficile», observe-t-il.

D’après lui, la troisième solution est de sensibiliser les populations à vivre pacifiquement avec ces animaux. « Ce qui implique de connaître leurs comportements à travers la sensibilisation».

Selon cet environnementaliste, les conflits homme-faunes augmentent au moment où très peu de solutions efficaces sont envisagées. Ce secteur de la faune sauvage, explique-t-il, n’est pas encore une priorité pour toutes les parties prenantes»

M.Ndayizeye dit qu’au lieu de prendre ces animaux comme une menace, il faut plutôt les voir comme une opportunité : « Ce sont des perles qu’on peut encadrer. Il faut leur trouver un environnement propice à leur épanouissement. Et une fois leur endroit bien clôturé, ils vont attirer des touristes. » Et ce faisant, cet environnementaliste pense que l’on pourra les considérer comme un patrimoine national. « Sinon, s’ils sont remis dans le lac ou dans la rivière Rusizi, ils peuvent migrer vers d’autres pays. Et là, ils deviennent une richesse régionale. »

M.Ndayizeye avertit que si les hippopotames venaient à disparaître, il y a d’autres espèces qui vont suivre.
Quant à M.Mbonerane, il affirme que leur présence est un danger pour la population : « Ces animaux peuvent être tués et passer à l’auto-défense. » Il indique que c’est la responsabilité de l’Office burundais pour l’environnement (OBPE) de voir les options techniques. Pour lui, on peut les guider pour retourner dans le lac. Pour la bonne cohabitation, nuance-t-il, il faudrait arriver à créer un habitat bien protégé pour eux.

Source: IWACU Burundi